Prendre soin de mes parents qui vieillissent de Annick Taquet-Assoignons
Un ouvrage de la psychologue Annick Taquet-Assoignons explorant les défis émotionnels vécus par les enfants aidants. Il met en lumière le fardeau écrasant, l'inversion des rôles, la gestion des émotions (colère, culpabilité) et la nécessité vitale pour l'aidant de définir ses limites et de satisfaire ses propres besoins.
Auteur : Annick Taquet-Assoignons, psychologue
Sous-titre : Toutes les ressources pour le proche aidant
L’ouvrage d’Annick Taquet-Assoignons se positionne dans un contexte de pénurie généralisée du personnel de santé (due au vieillissement de la population, à l’augmentation des maladies chroniques, et à des conditions de travail difficiles). Face à cette situation, l’entourage proche, souvent le conjoint ou l’un des enfants, assume de plus en plus le rôle d’aidant naturel ou aidant familial.
L’auteure, s’appuyant sur son travail de psychologue et son expérience personnelle, vise à développer une réflexion chez les enfants aidants et à leur fournir des outils pour prendre soin d’eux-mêmes. L’objectif principal est de mettre l’accent sur leur responsabilité face à la protection de leurs propres énergies et de prévenir l’épuisement et les difficultés psychologiques souvent associés à ce rôle.
La Perte d’Autonomie et le Fardeau
La prise en charge débute souvent avec la perte d’autonomie du parent, qu’elle soit brutale (chute, accident) ou progressive (maladie). L’enfant aidant se retrouve alors confronté à un possible renversement des rôles, assumant des fonctions de « parent » de son propre parent. L’auteure insiste sur l’importance de laisser le parent conserver le maximum d’autonomie et de le traiter en adulte.
Le rôle d’aidant est vécu comme un « fardeau » trop lourd à porter. Ce fardeau est décomposé en deux aspects :
- Le fardeau objectif : Mesure l’aide concrète apportée au quotidien (tâches, soins, gestion administrative).
- Le fardeau subjectif : Mesure le coût émotionnel, les sentiments et les difficultés psychologiques de l’aidant.
L’ouvrage inclut une échelle de pénibilité ou d’évaluation du fardeau (score de Zarit) pour permettre à l’aidant d’évaluer son niveau de surcharge.
Les Maladies Neurodégénératives et le Deuil
Les maladies comme Alzheimer sont fréquentes et provoquent des troubles cognitifs (perte de mémoire) et des symptômes comme l’agnosie (incapacité à reconnaître l’usage des objets). Ces changements, rendant le parent méconnaissable, sont sources d’une souffrance intense pour la famille.
L’enfant aidant est confronté à des pertes et des deuils. La situation est vécue comme un contexte traumatisant, face auquel l’aidant peut manifester des mécanismes de défense, notamment le déni de l’ampleur de la situation. Le processus de deuil implique des altérations somatiques (fatigue, troubles alimentaires), intellectuelles (perte de concentration), et affectives (tristesse, irritabilité). L’étape de reconstruction est essentielle, passant par la reconnaissance de la perte et la réorganisation de sa vie.
La Désignation de l’Aidant et la Culpabilité
L’enfant aidant principal est souvent autodésigné ou désigné par les autres membres de la fratrie, parfois en raison de sa proximité géographique ou de sa situation personnelle (célibataire, sans enfant). Les motivations sont variées : sens du devoir filial, gratitude, ou une dimension « réparatrice » liée à une dette passée envers le parent.
Le sentiment de culpabilité est omniprésent. Il résulte du non-respect d’attentes irréalistes du « proche aidant idéal ». Les aidants se sentent coupables de ne pas en faire assez, de perdre patience, de prendre du temps pour soi, ou même de survivre au proche malade. La culpabilité conduit souvent au surinvestissement et à l’épuisement. L’auteure conseille de remplacer la culpabilité par la responsabilité, en pardonnant ses imperfections et en tenant compte du contexte. L’enfant aidant n’est ni coupable, ni responsable du vieillissement, de la maladie ou du handicap de son parent.
L’Enfant Aidant Professionnel de la Santé
Lorsque l’enfant aidant est un soignant (infirmier, aide-soignant, médecin), il est naturellement sollicité. Cette double casquette (enfant et soignant) présente des défis uniques :
- Le soignant peut être perçu comme l’expert et le référent médical par la famille, ce qui lui impose une surcharge de responsabilité.
- Il est difficile de maintenir la neutralité et l’objectivité professionnelles car les émotions embrouillent le jugement.
- Il peut y avoir un déni de la gravité de la maladie, minimisant les symptômes.
- La réalisation de certains soins intimes (toilette) sur le parent est particulièrement pénible et devrait être confiée à d’autres professionnels pour préserver la dignité et l’intimité.
- Ce rôle engendre une surcharge psychologique et émotionnelle, pouvant mener à la fatigue de compassion.
Reconnaître et Satisfaire ses Besoins
L’enfant aidant a tendance à négliger ses propres besoins (physiologiques et psychologiques) et à les considérer comme « superficiels » par rapport à ceux du parent malade. Cependant, se donner le droit d’avoir des besoins est vital pour l’équilibre physique et psychologique. Il est impératif de prendre soin de soi, car on ne peut pas servir un verre à quelqu’un si sa carafe est vide.
Les besoins psychologiques incluent le besoin d’affection/d’attention et le besoin de reconnaissance. La reconnaissance par l’entourage et les professionnels est un élément clé qui renforce le sentiment de compétence et augmente la motivation de l’aidant.
Lutter contre la Crise Existentielle et le Syndrome de l’Imposteur
Les aidants « jeunes séniors » (autour de la soixantaine) sont souvent confrontés à leur propre vieillissement, aux faiblesses physiques et à la peur de devenir dépendants de leurs enfants. Regarder son parent décliner agit comme un miroir de sa propre vieillesse.
Le syndrome de l’imposteur est courant chez les aidants : ils doutent de leurs capacités et de leur légitimité, attribuant leurs succès au hasard et remettant constamment en question leur valeur. Ce syndrome est exacerbé par le désir d’être « parfait ».
Mobiliser les Aides et les Ressources
Il est crucial de chercher de l’aide et de l’information. Les ressources incluent :
- Les informations médicales (en écrivant ses questions avant les consultations).
- Les aides sociales (CCAS, CLIC, Mutuelles).
- Les Plateformes d’accompagnement et de répit et les Cafés des aidants, qui offrent écoute, soutien et des échanges avec d’autres personnes ayant le même vécu, aidant à sortir de l’isolement.
- Les formations des aidants (pour se sentir efficace dans la prise en charge).
- Les aides de répit (accueil de jour, hébergement temporaire en EHPAD), qui sont vitales pour recharger ses batteries et éviter l’épuisement.
Pour mobiliser les ressources informelles, il faut communiquer clairement ses besoins aux autres membres de la famille pour répartir l’aide et éviter de tout prendre en charge seul.
Gestion des Émotions et Assertivité
L’ouvrage propose des outils pour gérer les émotions, dont la reconnaissance des émotions est la première étape.
L’auteure s’appuie sur des concepts de l’Analyse Transactionnelle d’Éric Berne :
- Les émotions accumulées ou « timbres » : Rétention des rancœurs et des déceptions, menaçant la relation jusqu’à l’explosion.
- Les émotions parasites ou « rackets » : Substitution d’une émotion jugée inacceptable (tristesse) par une autre plus facile à manifester (colère).
Il est essentiel de trouver un équilibre en acceptant les émotions contradictoires (amour et colère, tristesse) et en exprimant ses besoins pour vider la « Cocotte-Minute » émotionnelle.
Le développement de l’assertivité est fondamental. L’assertivité est l’attitude d’équilibre (opposée à la fuite, l’agressivité et la manipulation), permettant d’exprimer ses besoins et ses limites de manière apaisée, claire et respectueuse.
Soins de l’Âme et du Corps
Pour se maintenir dans la vie, l’aidant doit se traiter avec bienveillance et combattre l’ambivalence (Milou Démon/Ange).
Des techniques de soin de l’âme et du corps sont proposées :
- Libération des pensées négatives : Les identifier et les accepter pour réduire leur emprise sur soi.
- Pleine Conscience (Mindfulness) : Pratique permettant d’observer l’instant présent sans jugement, aidant à gérer le stress et à retrouver le calme.
- Relaxation par l’automassage : Un moyen naturel pour retrouver l’équilibre physique et psychique.
Le rôle d’aidant familial est une relation de réciprocité conditionnée par les relations antérieures. Le plus important est de se rappeler que même en tant qu’aidant familial, l’enfant reste d’abord un enfant, un fils, une fille. L’enfant aidant a le rôle irremplaçable d’être garant du maintien de l’intégrité et de l’identité de son parent. En s’accordant le droit à ses réactions contradictoires, en posant des limites et en améliorant son bien-être, l’aidant augmente son efficacité auprès du parent malade.