Le counseling auprès des proches aidants de Marjorie Silverman

Ce guide de Marjorie Silverman est destiné aux professionnels de la santé travaillant avec les proches aidants. Il explore la réalité complexe de leur rôle, les conséquences psychosociales, et présente une approche de counseling éclectique et flexible (TCC, psychodynamique) pour un soutien individualisé à court terme.

Auteure : Marjorie Silverman

Traduction : Marie-Chantal Plante

Contexte de publication : Ce guide est issu du programme de counseling à court terme élaboré au Centre de soutien aux aidants naturels du CSSS Cavendish à Montréal. Le CSSS Cavendish est un Centre affilié universitaire de gérontologie sociale.

Objectif principal de l’ouvrage

L’objectif de ce guide est de sensibiliser les intervenants du milieu de la santé aux difficultés rencontrées par les proches aidants et d’offrir une nouvelle perspective d’intervention psychosociale. L’intervention vise à fournir un soutien flexible et intensif, conçu en fonction des besoins et des objectifs spécifiques de chaque aidant. L’auteure souhaite que l’ouvrage soit un outil ou une ressource pour la réflexion et l’information.

I. Le rôle et les enjeux du Proche Aidant

Définition et identité de l’aidant

Le terme « proche aidant » désigne les membres de la famille ou des amis qui fournissent un soutien régulier à une personne ayant un problème de santé physique, cognitif ou mental. L’auteure souligne le passage graduel du terme « aidant naturel » à celui de « proche aidant », car les aidants eux-mêmes ont pris conscience que le rôle n’a rien de « naturel ».

La transition vers ce rôle survient lorsque le soutien demandé dépasse les responsabilités familiales habituelles. L’aidant principal est la première personne contactée en cas d’urgence, pour le transport, les changements de médication ou le régime alimentaire, assumant des tâches multiples allant du soutien moral aux soins infirmiers et à la supervision quotidienne permanente.

Une partie du counseling vise à sensibiliser les aidants au terme et à les aider à s’autodéfinir, ce qui est une validation de leur expérience et un tremplin pour obtenir de l’aide.

Les répercussions psychosociales du rôle

Le rôle d’aidant a des répercussions significatives, notamment l’anxiété et la dépression, dues au poids permanent des responsabilités. 70% des aidants interrogés dans un sondage ont révélé un niveau de stress plus élevé.

Les aidants font face à de multiples pertes, notamment la perte d’une vision d’avenir planifié (surtout pour les conjoints aidants). Ils sont témoins du déclin de l’aidé, ce qui peut soulever leur propre peur du déclin et de la mort. Les pertes peuvent aussi réveiller d’anciennes blessures et deuils non résolus.

L’isolement social est accentué, car le temps libre est rare, et l’aidant peut s’éloigner de ses amis, notamment à cause du stigmate associé à certaines maladies mentales. La vie intime et sexuelle des conjoints aidants est également affectée, soit par les changements corporels, soit par le stress et l’épuisement.

Typologie et contextes de l’aidance

La situation de l’aidant est unique et influencée par des facteurs contextuels (nature de la relation, évolution de la maladie). L’auteure distingue :

  • Les Conjoints Aidants : Ils doivent accepter de ne pas réaliser l’avenir planifié à deux. L’un des risques majeurs est l’éventuelle perte d’autonomie de l’aidant lui-même.
  • Les Enfants Adultes Aidants : Beaucoup font partie de la « génération sandwich », s’occupant à la fois de leurs parents et de leurs enfants. Ils doivent concilier leur rôle avec le travail, ce qui ajoute du stress (absences, promotions manquées).

L’auteure insiste sur l’importance de la trajectoire intergénérationnelle et des modèles familiaux (conception systémique) qui façonnent la dynamique des soins. Par exemple, une femme ayant vu sa mère s’occuper de sa propre mère pourrait suivre ou, au contraire, rejeter ce modèle.

Les différences ethnoculturelles (linguistiques, religieuses) sont cruciales, car elles peuvent influencer le refus de certains traitements ou le degré d’ouverture à l’aide extérieure. De même, les aidants de personnes homosexuelles peuvent rencontrer des défis additionnels dus à la discrimination anticipée ou vécue et au manque de ressources adaptées.

II. Les Fondements Théoriques du Counseling

L’approche Éclectique et Adaptative

La particularité du counseling auprès des aidants est d’être flexible, axé sur les besoins de l’aidant et de s’adapter à la situation souvent fluctuante de ce dernier. L’approche est idéalement éclectique, alliant plusieurs modèles pour répondre aux besoins changeants de la clientèle.

L’objectif fondamental, quel que soit le modèle utilisé, est de valider l’expérience de l’aidant, le reconnaissant en tant que personne et non seulement en fonction de son rôle.

Les modèles théoriques clés

L’auteure identifie plusieurs approches spécifiques appropriées au counseling des proches aidants :

  • La Thérapie de Soutien : Vise à réduire les symptômes, à trouver des solutions pratiques et immédiates, et à accroître les mécanismes d’adaptation. C’est une approche très efficace pour les aidants en quête de solutions concrètes.
  • L’Approche Psychodynamique : Explore l’influence des expériences passées et des conflits intrapsychiques sur la situation actuelle. Elle permet aux aidants d’accéder à leurs sentiments conflictuels (comme la culpabilité liée à la colère) en utilisant l’interprétation plutôt que la simple réaction.
  • L’Approche Cognitivo-Comportementale (TCC) : Se concentre sur la réduction des pensées et comportements négatifs actuels. Elle est utile pour l’anxiété et le stress, et implique des exercices visant à modifier les pensées déformées (par exemple, les pensées de culpabilité telles que : « Je ne suis pas une bonne épouse »).
  • L’Autonomisation (Empowerment) : Un cadre qui vise à transformer les sentiments d’impuissance en un sentiment de contrôle accru et de puissance, en consolidant les forces du client et en validant son expertise.
  • L’Approche Féministe : Une perspective philosophique qui contextualise le rôle de l’aidante dans une structure sociale et de pouvoir, rappelant que ce travail a été socialement construit comme un travail de femmes. Cela aide les aidantes à réduire leur sentiment de culpabilité lorsqu’elles établissent des limites.

III. Le Processus du Counseling

Évaluation et Détermination des Objectifs

L’évaluation initiale est essentielle. Elle permet à l’aidant d’analyser sa situation, d’identifier ses forces, ses limites, et de déterminer la charge réelle et psychologique de ses responsabilités. Un outil comme L’aide-proches peut être utilisé pour dépister les domaines problématiques (santé, coût financier, relations familiales).

Les objectifs fixés, souvent précis et concrets (fixer des limites, trouver l’aide adéquate, gérer les comportements hors de contrôle), doivent être révisés périodiquement en raison de l’évolution constante de la situation de l’aidant. En cas de crise (pensées suicidaires, violence), le traitement de la crise est prioritaire.

Les étapes de la Trajectoire de l’Aidant et les Interventions

L’intervention s’adapte à l’étape du « périple de l’aidant » :

  • Première Étape : Axée sur l’information (psychoéducative) et l’acceptation du diagnostic. L’aidant peut ne pas s’identifier encore comme tel, voyant cela comme un « devoir ».
  • Étape Intermédiaire : Souvent marquée par les comportements difficiles (agressivité, répétition, errance) dans le cas de déficience cognitive. L’intervention utilise la résolution de problèmes, les jeux de rôle, et aide l’aidant à établir fermement ses limites pour prévenir l’épuisement. C’est often à cette étape qu’intervient la décision difficile de l’hébergement, où l’intervenant valide les émotions conflictuelles liées à l’idée d’abandon.
  • Étape Postérieure : Après le décès ou l’hébergement. L’aidant vit le deuil de la personne, mais aussi la perte de son identité et de son rôle d’aidant. Le counseling aide à la redécouverte de soi et à la conception d’un avenir dans une nouvelle perspective, reconnaissant que la vie peut sembler vide et déconcertante.

La Résistance et l’Abus

La résistance de l’aidant peut se manifester par la difficulté à établir des objectifs clairs, souvent parce qu’il est plus sécurisant de parler de l’aidé pour éviter ses propres émotions ambivalentes (colère, culpabilité).

L’ouvrage aborde également l’abus envers les aînés (physique, psychologique, économique, négligence), qui peut s’intensifier avec le temps. La dynamique d’abus peut résulter d’un épuisement de l’aidant ou d’une relation violente préexistante. Inversement, l’aidé peut être l’agresseur. L’intervenant doit être sensible aux signes d’abus ou de négligence, même si l’aidant les minimise. Le counseling doit permettre à l’aidante victime d’abus de s’exprimer sans invalider l’amour qu’elle porte à l’aidé.

IV. Bilan et Conclusion du Counseling

Résultats et Bénéfices

Le counseling, même à court terme (six à douze séances), produit des bénéfices. Les résultats observés incluent :

  • Un plus grand bien-être.
  • Une indépendance accrue comme personne et comme aidant.
  • Une meilleure compréhension des réactions émotionnelles.
  • Une plus grande sensibilisation aux limites et à ce qui peut être géré.
  • Une acceptation plus sereine de la nouvelle situation.

Une étude du CSSS Cavendish a montré que le counseling est particulièrement bénéfique pour les aidants de moins de 75 ans, instruits, capables d’introspection, supportant l’anxiété et motivés par le changement.

Les Limites et l’Appel à la Responsabilité Collective

L’intervention à court terme peut être limitée face à des problématiques non résolues ou des besoins de soutien continu.

L’auteure conclut que, compte tenu du vieillissement de la population, le rôle d’aidant ne sera viable que s’il bénéficie d’une aide et de services adéquats, et si, collectivement, la société assume la responsabilité partagée des soins aux personnes en perte d’autonomie. Les difficultés des aidants se répercutent sur le système de santé, l’économie et le monde du travail.

Pour les intervenants, il est essentiel d’être attentif aux aidants, même sans mandat de counseling, car c’est déjà un pas dans la bonne direction.