Je suis devenu le parent de mes parents de Vincent Valinducq
Récit autobiographique de Vincent Valinducq sur son parcours de médecin et son rôle épuisant de proche aidant auprès de sa mère. Il y aborde l'inversion des rôles, la solitude, la charge administrative et le manque de ressources, plaidant pour une meilleure reconnaissance des aidants.
Auteur : Vincent Valinducq
Éditeur : Éditions Stock, 2023
Thèmes principaux : L’aidance familiale, l’inversion des rôles, la maladie chronique (notamment apparentée à Alzheimer), l’épuisement physique et psychologique, le système de santé français.
Introduction et Contexte de l’Œuvre
Le livre de Vincent Valinducq est un témoignage personnel et professionnel qui retrace quatorze années de « combat » mené aux côtés de sa mère malade. L’auteur, qui a réalisé son rêve d’enfant de devenir médecin, livre l’histoire d’une famille ordinaire confrontée à la maladie avec un double regard de fils et de médecin. L’ouvrage est dédié à ses parents et à tous les aidants, ces « héros du quotidien ». La mère de l’auteur, Nadine, a commencé sa longue « descente aux enfers » autour de 2009, à l’âge de 52 ans, avec des symptômes initialement banalisés comme la fatigue ou la ménopause. Sa pire crainte était d’être atteinte d’une maladie de personne âgée, comme la maladie d’Alzheimer, qu’elle avait elle-même aidé à gérer chez autrui. L’évolution de la maladie a été caractérisée par la perte progressive de fonctions (troubles de la mémoire, calcul, autonomie dans les gestes quotidiens).
Concepts Clés du Livre
1. L’Identification au Rôle d’Aidant (Aidance)
L’auteur a découvert le terme « aidant » par hasard, ce qui lui a procuré un grand soulagement et même de la fierté, car cela mettait un nom sur son vécu de souffrance et de gestion de multiples « galères ». L’aidant est défini comme une personne non professionnelle qui vient en aide de manière principale à un proche dépendant (malade, handicapé ou âgé) pour les activités de la vie quotidienne. L’aidance est un phénomène massif en France, touchant environ 11 millions de personnes, dont 700 000 de moins de dix-huit ans. Le livre met en lumière que l’engagement des proches se fait souvent progressivement, parfois « à notre insu », notamment lorsque la dépendance s’installe lentement.
Le rôle d’aidant s’est imposé à la famille de Vincent sans qu’elle en prenne conscience immédiatement. Ce rôle a entraîné l’adoption d’une organisation familiale modifiée et bien huilée, s’apparentant à une « petite entreprise ». Tandis que le père, Denis, s’est transformé en « mari-aidant » et auxiliaire de vie, gérant les soins de base et l’habillage, Vincent, le médecin, a pris en charge l’aspect médical et administratif à distance, rentrant les week-ends pour prendre le relais.
2. Le Renversement des Rôles (Devenir le Parent de ses Parents)
Le titre même du livre, « Je suis devenu le parent de mes parents », reflète une réalité vécue par de nombreux enfants adultes aidants. Ce renversement des rôles est difficile à accepter car il remplace la figure parentale réconfortante et protectrice par un rôle de prise de décision et de soin. Dans le cas de Vincent, ce basculement est devenu concret lorsque, après huit ans d’aidance envers sa mère, son frère et lui ont dû commencer à surveiller et prendre les rendez-vous médicaux de leur père, dont la santé était fragile à cause de l’épuisement. C’est à ce moment précis que l’auteur a eu l’impression d’hériter de « deux grands enfants ».
L’auteur insiste sur le fait qu’il est essentiel de ne pas infantiliser l’aidé, même en situation de dépendance. Cependant, l’inversion des rôles est inéluctable : le fils étudiant se retrouve à se présenter à la secrétaire du médecin pour sa mère, et doit s’assurer que son père adopte des gestes de bon sens, comme couper la viande en petits morceaux pour prévenir les « fausses routes ».
3. L’Épuisement de l’Aidant et la Résistance à l’Aide
L’aidance est décrite comme une situation épuisante et douloureuse, entraînant une charge mentale et émotionnelle colossale. La progression de la maladie nécessite un investissement croissant, transformant la vie de l’aidant en un marathon.
Le père de Vincent, Denis, illustre la résistance à l’aide extérieure. Pendant huit ans, il a refusé toute aide professionnelle, considérant les soins comme son « devoir d’époux » et préférant s’oublier petit à petit. Cette obstination, bien que motivée par l’amour, a été source de tensions et a mis sa propre santé en danger, le menant même à l’hôpital en réanimation. L’auteur révèle le chiffre glaçant selon lequel un aidant sur trois meurt avant son proche aidé. Finalement, seul l’argument que l’aide professionnelle préserverait la dignité et l’intimité de sa femme a réussi à convaincre son père d’accepter l’arrivée d’auxiliaires de vie.
4. La Culpabilité et l’Hypervigilance
Le sentiment de culpabilité est omniprésent chez les aidants. Vincent ressentait une forte culpabilité de ne pas faire assez ou d’avoir des « pensées atroces » d’abandon. Il se sentait responsable de ne pas avoir anticipé des problèmes, comme l’état dentaire de sa mère. La culpabilité peut conduire au surinvestissement.
L’aidance s’accompagne d’un état d’hypervigilance constant, often comparé au fait d’être de garde 24 heures sur 24, qui empêche l’aidant de se déconnecter. L’isolement est une conséquence fréquente de cette charge, impactant la vie sociale, professionnelle (difficile de se libérer pour les salariés) et personnelle.
L’auteur a mis en évidence l’importance de l’ingéniosité de l’aidant face aux complications matérielles et à la pénurie de ressources. Des solutions pratiques et « maison » doivent être trouvées pour pallier la perte d’autonomie, comme le verre découpé pour faciliter la déglutition de sa mère qui souffrait de raideur cervicale.
5. Prendre Soin de Soi et Chercher de l’Aide
Une injonction cruciale pour l’aidant est de « prendre soin de soi ». L’auteur compare la nécessité de préserver sa propre santé à la consigne de sécurité en avion : mettre son masque à oxygène en premier pour pouvoir aider les autres durablement. Ne pas prendre soin de soi revient à épuiser ses réserves d’énergie (le « compte en banque énergétique »).
Vincent Valinducq a cherché une aide psychologique (une « soupape ») pour gérer la charge émotionnelle et le traumatisme de voir sa mère disparaître. Il a pris conscience que consulter servait à « s’occuper de moi ». L’auteur insiste sur le fait que la connaissance de ses besoins psychologiques est essentielle pour protéger ses énergies et faire des choix santé. Se reconnaître comme aidant est la première étape pour accéder aux droits et dispositifs existants.
Bien qu’il n’y ait pas de « solution miracle » ni de manuel du « bon » aidant, il est vital de se donner le droit d’être aidé et de ne pas rester seul face à la situation.
6. L’Après l’Aidance et la Résilience
Le livre aborde la réalité souvent ignorée de la vie après le décès ou le départ de la personne aidée (L’Après). Après la fin du « combat » mené par la tension musculaire et nerveuse, l’aidant se retrouve amorphe et « sonné », confronté à un vide immense. L’auteur a eu recours à une « béquille médicamenteuse » et à la thérapie pour retrouver sa sérénité et rebondir.
L’expérience de l’aidance prématurée a forcé l’auteur à grandir plus vite, lui permettant de comprendre le sens du mot « résilience » : la capacité à surmonter les chocs traumatiques. L’auteur conclut en insistant sur le fait que l’amour et le lien unique créé durant ces années sont « inestimables ».
Conclusion et Portée Sociétale
Au-delà de son histoire personnelle, Vincent Valinducq lance un appel urgent pour mieux reconnaître et soutenir les aidants, qui constituent un « maillon essentiel » du système de santé. Il souligne l’inégalité face à l’aidance (selon le genre, la catégorie socioprofessionnelle, ou le statut professionnel) et la complexité des démarches administratives, qui sont chronophages et peu centralisées. Il exhorte la société à mener des actions de santé publique pour identifier les aidants qui s’ignorent et leur fournir les droits nécessaires avant que le système entier ne se « désamorçce ».