Dépendance Affective
En psychologie, la dépendance affective peut être comprise comme une forme de reliance prononcée, souvent compulsive et anxieuse, envers autrui ou des facteurs externes pour la régulation émotionnelle, l’estime de soi et un sentiment de complétude. Elle découle fréquemment de besoins relationnels précoces non satisfaits ou de sentiments chroniques de vide et de peur de l’abandon [Précédente conversation, 309, 310].
Ce concept est étroitement lié au « schéma de Dépendance » identifié en thérapie des schémas, où la personne manque de confiance en sa capacité à prendre des décisions de manière autonome et se fie excessivement aux conseils d’autrui [Précédente conversation, 447]. Les individus présentant un niveau élevé de dépendance à autrui sont plus vulnérables, par exemple, lorsqu’ils perdent des relations importantes ou ne peuvent en établir [1, 2]. La dépendance affective peut également être une « recherche de satisfaction » qui conduit le sujet à focaliser son existence sur un comportement (ici, le comportement de recherche de l’autre), réduisant sa capacité à jouir de la vie de manière autonome [3, 4]. Cette « centration » est un envahissement de l’existence par l’objet de la dépendance et le rapport au monde qu’elle crée [4].
D’un point de vue développemental, il existerait une continuité entre les formes infantiles de dépendance, le lien aux objets, et la vulnérabilité aux addictions, ces dernières étant des formes de dépendance [5]. Des carences qualitatives et/ou quantitatives de l’investissement maternel et parental peuvent être à l’origine de cette vulnérabilité, affaiblissant les « assises narcissiques » du sujet [6]. Un style d’attachement insécure est un facteur de risque prédisposant les personnes à s’ajuster difficilement aux pertes, tandis qu’un attachement sécure est associé à une meilleure gestion du stress et à une moindre vulnérabilité à la dépression [1, 2]. Les schèmes d’attachement sont maintenus par des tendances physiques chroniques issues de l’attachement précoce et se manifestent par des comportements de recherche de proximité ou des expressions défensives de retrait [7].
La dépendance affective reflète également une difficulté à se percevoir comme agent de son propre cheminement ou à avoir le contrôle sur l’issue des situations [Précédente conversation]. En addictologie, la dépendance est caractérisée par une compulsion à prendre la substance de façon continue ou périodique afin de ressentir ses effets psychiques et parfois d’éviter le sevrage, impliquant une perte de contrôle [8]. Ce vécu de la dépendance peut même conférer un sentiment d’identité autre, affectant la relation au corps, au temps, à l’espace et à autrui [3, 4]. Le sujet « ne s’appartient plus complètement, c’est la substance qui décide et prend le contrôle, qui parle à sa place de sujet » [9].
En somme, la dépendance affective est une stratégie d’adaptation, souvent dysfonctionnelle, où l’individu, confronté à un vide interne, une faible estime de soi ou une peur de l’abandon, s’appuie de manière excessive sur les relations avec autrui pour combler ses besoins émotionnels et maintenir un équilibre psychologique, ce qui peut paradoxalement conduire à un éloignement des personnes dont il dépend ou à un renforcement de sa vulnérabilité [Précédente conversation]. La dépendance est une notion centrale dans les conduites addictives, vue comme un processus de régulation de l’équilibre du sujet et un moyen d’échapper à un inconfort interne [10, 11].
Méthodes pour s’en séparer et favoriser l’autonomie
Se séparer d’une dépendance affective implique un processus complexe et multidimensionnel, souvent ancré dans un travail thérapeutique approfondi. Les approches mettent l’accent sur la restauration de l’autonomie et l’élaboration des liens relationnels.
1. La Relation Thérapeutique comme Fondement du Changement
- Rôle central de la relation : La relation thérapeutique est un agent de changement essentiel, d’autant plus que la problématique du patient est complexe [12]. L’analyste doit symboliquement et lacunairement répondre aux besoins du patient pour réactualiser les étapes archaïques du développement psychique [13].
- Cadre sécurisant et différenciant : Le cadre thérapeutique permet une diffusion des investissements du patient, rendant le transfert plus supportable et favorisant une différenciation progressive des objets internes. Il aide à éviter « l’illusion fusionnelle » et à promouvoir la différenciation et l’autonomisation nécessaires [14, 15]. Il est crucial d’éviter une distance excessive qui entraînerait l’angoisse d’abandon ou une proximité excessive qui reproduirait un échec de la différenciation [15].
- Empowerment et co-construction : Il s’agit de valoriser les capacités d’autonomie du sujet et de « l’aider à retrouver sa propre capacité d’autoguérison » [16]. L’addictologie moderne met l’accent sur l’empowerment, l’autonomie et le rétablissement [17], reconnaissant les vulnérabilités, les ressources et la valeur de chacun pour renforcer les compétences de tous [18].
2. Comprendre et Élaborer les Mécanismes Sous-Jacents
- Analyse des schémas inadaptés : Les thérapies des schémas visent à identifier et travailler sur des schémas précoces inadaptés, comme la « dépendance » ou le « manque affectif », qui sont des « structures » de pensée et de comportement façonnées par l’expérience et influençant la perception de soi et du monde [19, 20].
- Travail sur les affects et les représentations : Le processus thérapeutique est un travail incessant de « liaison-déliaison des représentations et des affects » pour instaurer une mobilité de l’énergie psychique là où la rigidité paralyse le psychisme [21]. L’identification de la séquence sensation/émotion/besoin permet de réduire la réactivité émotionnelle et de devenir proactif [22].
- Gestion de l’angoisse et des défenses : Les mécanismes de défense sont mobilisés par le moi pour affronter et éviter l’angoisse [23]. La thérapie aide à reconnaître ces défenses et à en développer de plus adaptatives, par exemple en permettant l’élaboration de la position dépressive qui renforce la permanence de l’objet et l’intégration de l’ambivalence des sentiments [24].
- Approche des traumatismes : Les problèmes de dépendance peuvent être liés à des traumatismes émotionnels. Un « double traitement » est souvent nécessaire pour démêler le problème de dépendance du problème psychologique sous-jacent [25]. L’EMDR, par exemple, peut cibler et retraiter des « informations stockées de manière dysfonctionnelle » (ISD), y compris des réponses défensives inadaptées comme l’idéalisation ou les affects positifs associés aux dépendances, et pas seulement les souvenirs traumatiques autobiographiques [26].
3. Développer l’Autonomie et la Différenciation
- « Décrocher » du mode « faire » : La thérapie ACT (Acceptance and Commitment Therapy) vise à développer la « flexibilité psychologique », c’est-à-dire la capacité d’être présent, de s’ouvrir et de faire ce qui compte, plutôt que de rester figé dans un « mode faire » réactif qui crée des problèmes [27, 28]. Le but est de changer la *fonction* des symptômes plutôt que leur seule *forme* [29].
- Distinction soi/autrui et autonomisation : La dépendance immature est une fusion appauvrissante, tandis que la dépendance mature est la reconnaissance du besoin des autres « un tant soit peu, pour pouvoir être indépendant », impliquant une liberté spirituelle et matérielle [30]. Le travail de différenciation entre le moi et le non-moi, et entre les objets internes et externes, est fondamental pour la construction d’une identité stable [31-33].
- Médiations thérapeutiques et symbolisation : L’utilisation de « médiums malléables » (comme dans l’art-thérapie) offre la possibilité d’expérimenter une relation symbolisante à moindre coût en termes de dépendance, favorisant l’élaboration et l’intégration des affects. Ces médiations facilitent la symbolisation des expériences affectives et pulsionnelles [34-36]. Elles permettent de « matérialiser » l’activité de représentation et de symbolisation elle-même, offrant un espace pour donner forme à l’informe [37, 38].
- Reconnaissance de la fonction adaptative des comportements : Comprendre que la dépendance, y compris celle liée aux addictions, peut avoir une « fonction adaptative » ou être une « solution » pour le sujet, même si dysfonctionnelle, est essentiel pour l’accompagnement [39-42]. Cela permet d’aider le sujet à se dégager de ces rapports d’attachement et d’interdépendance qui peuvent freiner l’intégration sociale et les projets de vie [43].
Bibliographie (10 auteurs/concepts clés)
- Bowlby, J. / Théorie de l’Attachement : Pour sa théorie fondamentale sur les liens émotionnels précoces et leur impact sur la formation des styles d’attachement et la gestion des pertes, incluant la dépendance à l’approbation d’autrui et la capacité d’oscillation flexible [1, 2, 7, 12, 44].
- Freud, S. / Psychanalyse Classique : Pour sa conceptualisation des pulsions, du Moi, du Surmoi, de l’angoisse et des mécanismes de défense, ainsi que pour l’idée d’une dépendance infantile fondamentale et des relations de dépendance du Moi aux différentes instances psychiques [5, 21, 23, 45-47].
- Harris, R. / Thérapie d’Acceptation et d’Engagement (ACT) : Pour le concept de flexibilité psychologique et l’accent mis sur le changement de la fonction des symptômes plutôt que de leur forme, encourageant l’engagement dans des actions alignées avec les valeurs malgré la présence de difficultés [28, 29, 48].
- Ionescu, S. / Psychopathologie Intégrative : Pour son approche de la psychopathologie visant à intégrer la diversité des perspectives pour une compréhension plus complète des troubles mentaux et des mécanismes adaptatifs, incluant les mécanismes de défense [49-52].
- Jeammet, P. : Pour ses travaux sur les paradoxes de la dépendance à l’adolescence, soulignant que les besoins profonds de dépendance peuvent compliquer le processus de maturation et être à l’origine de conduites pathologiques si non élaborées [14, 53-55].
- Morel, A. & Couteron, J-P. / Addictologie et Centration : Pour leur approche de l’addictologie qui met en lumière la « centration » comme envahissement de l’existence par le produit (ou l’objet de dépendance) et la perte de contrôle, ainsi que la dimension fonctionnelle/adaptative des comportements addictifs et la notion de continuum des usages [3, 4, 8, 9, 39, 41, 56-61].
- Pirlot, G. : Pour ses analyses des carences précoces d’investissement maternel et parental comme origine des assises narcissiques faibles et de la vulnérabilité aux addictions, et l’importance de la problématique de l’analité et des clivages autonarcissiques [6, 62, 63].
- Roussillon, R. : Pour ses concepts de « médium malléable » et « d’objet médiateur » dans les processus de symbolisation, essentiels pour l’élaboration des éprouvés archaïques et la construction de la différenciation moi-objet, permettant de travailler la dépendance à moindres frais [34, 35, 37, 38, 64-67].
- Shapiro, F. / EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) : Pour le modèle du Traitement Adaptatif de l’Information (TAI) et la capacité de l’EMDR à cibler et retraiter non seulement les souvenirs traumatiques, mais aussi les « informations stockées de manière dysfonctionnelle », y compris les réponses défensives inadaptées et les affects associés aux dépendances [26, 68, 69].
- Winnicott, D.W. : Pour son apport à la compréhension de la dépendance dans les états psychotiques, l’importance du « holding environment » (environnement suffisant) et de la capacité de la mère (ou du thérapeute) à s’adapter aux besoins de l’enfant, contribuant à la maturation du Moi et à la différenciation [13, 64, 70-72].