Chaque Dépression a un Sens : L’Analyse du Livre de Johann Hari

Le livre « Chaque dépression a un sens » (titre original : « Lost Connections – Uncovering the Real Causes of Depression and the Unexpected Solutions ») est l’œuvre de Johann Hari, journaliste et auteur. Traduit en français par Actes Sud en 2019, il propose une perspective renouvelée sur la dépression et l’anxiété.

Thèse Principale et Critique des Approches Conventionnelles

• Johann Hari soutient que la dépression et l’anxiété sont les « maladies de notre temps », mais pas pour les raisons habituellement admises. Il affirme que nous avons été « systématiquement mal informés de ce que sont la dépression et l’anxiété ».
• Il remet en question l’idée dominante selon laquelle la dépression est principalement un dysfonctionnement cérébral ou un déséquilibre chimique (par exemple, un manque de sérotonine). L’auteur révèle qu’il a lui-même longtemps cru et même propagé cette explication en tant que journaliste. Cependant, son expérience personnelle et ses recherches l’ont conduit à réaliser que l’augmentation des doses d’antidépresseurs ne parvenait pas à vaincre la tristesse, qui revenait comme une « douleur lancinante ».
• Le livre critique la notion selon laquelle dire aux personnes dépressives que leur état est dû à leur cerveau leur fournit une « carte faussée » qui ne les aide pas à comprendre ni à résoudre leur mal-être, risquant même de les « enfermer dans leur souffrance ».
• Il dénonce les lacunes des critères diagnostiques traditionnels, comme le Diagnostic and Statistical Statistical Manual (DSM), en soulignant que la plupart des personnes en deuil remplissent ces critères de dépression. L' »exception du deuil » (permettant aux personnes endeuillées de présenter des symptômes dépressifs sans être diagnostiquées malades mentales pendant une certaine période) est présentée comme une « faille inadmissible » qui démontre que les symptômes de la dépression peuvent être « justifiés, voire nécessaires, dans certaines circonstances ». Hari questionne pourquoi seule la mort justifierait de tels symptômes, et non d’autres épreuves de la vie comme la perte d’un emploi ou une relation brisée.
• Une professionnelle citée dans le livre, Joanne, préfère le terme de « santé émotionnelle » à « santé mentale » et insiste sur l’importance d’écouter l’histoire complète des patients plutôt que de se fier à des listes de symptômes. Selon elle, dire à un patient qu’il a un problème cérébral le condamne à l’impuissance.
• L’auteur estime que s’accrocher à des explications purement génétiques ou cérébrales est parfois « impardonnable ». Il insiste sur le fait que la « nausée est nécessaire », la considérant comme un message qu’il faut écouter pour comprendre ce qui ne va pas.

Les Neuf Causes et Solutions Proposées

Johann Hari explore ce qu’il identifie comme neuf causes profondes de la dépression et de l’anxiété, qu’il présente comme des « antidépresseurs sociaux et psychologiques ». Il souligne que ces solutions, bien qu’elles puissent sembler « dérisoires et trop ambitieuses » au premier abord, sont un point de départ pour une nouvelle approche. Les solutions doivent être principalement collectives, car la dépression est souvent un problème collectif découlant d’un dysfonctionnement de la civilisation.

Parmi les causes abordées, on trouve :

• L’enfermement dans un travail privé de sens : Le livre donne l’exemple d’une femme qui s’est sentie mieux après avoir trouvé un emploi où ses idées étaient valorisées, démontrant comment le sens au travail peut « tout changer ».
• Un environnement de valeurs en toc : L’auteur, citant Tim Kasser, explique que la recherche du bonheur par l’acquisition de biens et l’étalage du statut social sont des « valeurs en toc » qui mènent à une dépression et une anxiété plus profondes. Le livre vise à aider les lecteurs à « retrouver des valeurs fondamentales ».
• La rupture des liens sociaux : Le livre suggère que recréer du lien est une solution essentielle. L’auteur mentionne des études qui montrent qu’en percevant notre détresse et notre joie comme quelque chose que nous partageons avec les autres, nous pourrions changer notre état.
• Le véritable rôle des gènes et des modifications cérébrales : Bien que les gènes et le cerveau aient un rôle, l’auteur explore la neuroplasticité, expliquant que le cerveau se modifie en fonction des expériences vécues. Il suggère que la distinction entre une dépression « congénitale et physiologique » et une dépression « causée par la vie sociale » est une croyance qui n’est pas entièrement prouvée.
• La perte de tout espoir et l’incertitude face à l’avenir : Le psychologue Aaron Beck a inclus la « perte de tout espoir en l’avenir » dans sa « triade de la dépression » dès les années 1960, comme l’une des trois caractéristiques communes.

Johann Hari encourage les lecteurs à aborder les études scientifiques avec scepticisme et à « donner un bon coup de pied dans [leurs] préjugés ». Il exprime son propre cheminement difficile, étant passé d’une conviction initiale en l’efficacité des antidépresseurs à une compréhension plus nuancée. Il insiste sur le fait que les solutions à la dépression ne doivent pas être cantonnées au seul niveau individuel, car il s’agit d’un « problème collectif » nécessitant des « solutions collectives ».

Témoignage Personnel et Objectif

Le livre est profondément ancré dans l’expérience personnelle de Johann Hari, qui a lui-même souffert de dépression et d’anxiété. Il explique que la « nausée » (sa propre souffrance) était un message à écouter pour comprendre ce qui n’allait pas. Bien qu’il reconnaisse la douleur, il choisit de ne pas s’étendre sur les descriptions détaillées du désespoir que l’on trouve dans d’autres témoignages, préférant se concentrer sur la recherche de causes et de solutions.

L’auteur a constaté une amélioration de sa propre dépression et de son anxiété après avoir mis en œuvre ces changements dans sa vie, bien qu’il ne soit pas « complètement guéri » et qu’il ait encore des jours difficiles. Il refuse de conclure le livre par un slogan simpliste d’effort individuel, soulignant que tout le monde n’a pas les mêmes opportunités de changer de vie.

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